Vor der Reise

J’ai égratigné la peinture en enlevant la patafix des posters. Il y a maintenant, au milieu du mur vide, une crevasse ovale qui me regarde comme un œil. Son contour irrégulier laisse voir un palimpseste de couches de peinture, jusqu’à l’enduit blanc originaire : cristallisé sur les contours friables (près à s’élargir) de l’entaille, c’est ce geste de repeindre, de s’approprier les murs, répété rituellement par chaque nouveau locataire, qui fait soudain irruption dans ma pièce. Ça me gêne – le mur aveugle et froid, dépouillé de ses ornements, ce trou en son milieu comme un judas, et la vanité qu’il y a sans doute à se croire chez soi quelque part.

 


 

J’ai récupéré, avec délicatesse, tous les posters et flyers qui étaient disposés sur le mur en une frise minutieusement arrangée. Des bouts de carton – formats, couleurs, styles hétéroclites – plus ou moins écornés, parfois pliés : les keepsakes de mes nuits, à l’épreuve (?) d’une mémoire cirrhosée qui estompe, télescope, mythifie aussi.

Il y a un truc de bourgeois dans ce besoin d’accumulation

(projeter la vie dans les choses, convertir l’être en avoir)

et pourtant, j’y tiens, comme un moyen de conjurer l’angoisse, toujours tapie quelque part dans mon ventre, d’avoir trop tardé, de n’avoir pas vécu, d’avoir manqué

(toutes ces années passées enfermée dans mon corps, à pouvoir seulement rêver le monde)

 


 

El hogar es una tumba. La formule a le côté définitif et séduisant d’une réplique de cinéma[1] , elle donne envie d’y acquiescer. Oui : fuir le sentiment confortable du chez soi, méthodiquement, en façon d’hygiène de vie.

(Dire: je m’arrache, je me casse, je me pète. L’argot parle du départ avec une violence certaine. Une violence réflexive, auto-infligée – partir se détruire, de plein gré. Recréer le vide opérant.)

 


D’ailleurs:

 

« En poésie, on n’habite que le lieu que l’on quitte. » (Char, La recherche de la base et du sommet, 1965)

 

 

 

[1]Dante dans « Martín (Hache) » d’Adolfo Aristarain, 1997.

Lo mejor, ://about.blank

Dehors il fait déjà jour.

[

A l’intérieur du club, dans l’obscurité haletante, le temps n’est pas passé : il est resté figé autour de nous, comme incorporé dans le flux-reflux du kick-snare.

]

La froideur de l’air saisit nos bras nus, fait soudain ressurgir les frontières de nos corps.
Le blanc lait du ciel répand une lumière mate qui nous aveugle un peu. A pas cotonneux, on se dirige vers le floor encore à moitié vide : quatre marches, du sable, puis le plancher mouvant sous nos pieds.

La musique est sur le point de nous absorber entièrement.

J’aperçois S.
De dos, son pas de danse de toujours, le haut du corps légèrement incliné vers l’arrière. Enfin : j’ai tanné F. toute la nuit parce qu’il fallait que je le voie. Je crois que S. fonctionne comme un point focal, un principe d’organisation pour mon désir – sa présence diminue l’entropie à l’intérieur de ma cage thoracique.

[

A un moment, animée d’une pulsion de sincérité, je me dirige vers lui. Il faut que jte dise. Le prends pas pour toi, mais j’ai terriblement envie de toi. Un léger sourire se dessine, au ralenti, sur le visage de S. La formulation bizarre de ma phrase résonne quelques instants dans ma tête.

]

On a pris une dernière ligne de k quelque part au fond du jardin, à l’abri d’une construction étrange et sans toit que F. a qualifié de stand de tir. Concentrés pour ne pas basculer l’étroite Oyster card entre les lattes du plancher. C’est peu après, je crois, que tout a décroché.

On danse avec la fumée blanche qui envahit l’espace-temps, de plus en plus distendu. Presque impossible à présent de distinguer la réalité de nos perceptions, de savoir si c’est la musique qui change de pitch, ou si c’est nous qui la percevons au ralenti. Impossible de déterminer qui se déplace exactement, nous, les autres danseurs, ou le dj ? Troubles phénoménologiques, l’origo se démultiplie.

Mes membres, qui auparavant étaient comme du coton, ont durci et sont maintenant gourds et creux, des vases en verre épais. Je dis à F. puis à B. que c’est ouf, qu’il se passe un truc. Je demande à B. de me prendre dans ses bras, pour voir : sa peau à lui n’est pas rigide et vitrée mais souple, normale – elle laisse une brève chaleur imprimée sur la mienne.

Débordant de mes lèvres, un enthousiasme prodigieux – je constate presque surprise qu’il est pur de toute angoisse, même lointaine. J’essaie de tendre mon esprit vers ces fascinantes perceptions qui glissent par flashes autour de moi – parvenir à les saisir, à les enregistrer.

[

A super-sensitive tape recorder, for the sake of a permanent record. Le projet a déjà été éprouvé ; je le sais voué à l’échec. Le mouvement du kaléidoscope n’attend pas la prise maladroite de mon esprit.

]

Nous voilà allongés sur un sofa, sous les feuillages. Le temps s’étire. F. croyait que les arbres étaient des palmiers. C’est chaud, la drogue. Je répète des phrases de Pocahontas avec ferveur, comme des mantras. On croise A., son visage comme un parchemin lumineux écrit de tâches de rousseur. Nos paroles évoluent, elles-aussi, dans cet étrange quelque part entre démesure et adéquation.

Je vois dans ma tête une sorte de limite, entre le trip lui-même et la conscience du trip : à tout moment la ligne se tort, et les deux sphères versent l’une dans l’autre.

***

Bien plus tard, lorsque je pose mon corps dans le lit, mon crâne et mes doigts sont encore parcourus de fins courants électriques. Ils s’éteignent en crépitant doucement sur le drap frais.

Au revoir, chevaux.

Sonntagstrasse, 5:04

Le Morgengrauen phosphoresce doucement par-dessus les toits.

Ce n’est pas encore le bleuissement de l’aube, cet éclaircissement graduel du ciel qui commence par l’horizon. Non: le ciel est sombre et parfaitement uni – mais il dégage une sorte de luminosité phosphorescente, comme si la nuit était éclairée par derrière.

Mes yeux boivent l’étrange luminescence.

Je remonte ainsi la rue, le ciel planté dans les yeux, titubant sur les pavés inégaux de l’ivresse. Je me regarde de loin, et j’éclate de rire.

 

Wer von euch kann zugleich lachen und erhoben sein

 

Pendlergeschichte #3

Le train a l’atmosphère dense d’après une longue journée. Une odeur de renfermé avec par endroits les traces d’une effluve tiède et salée – quelqu’un avale en vitesse un bretzel, une pizza Ditsch. Dans ma bouche le goût fétide de trop de café; je tape des fautes de frappe avec une impatience interminable.

La fatigue barre mes yeux, mais il y a cette tension sèche, électrique à leur surface, qui m’empêche de les fermer. Derrière eux, pêle-mêle dans l’habituel théâtre de ma tête, des check-lists à moitié cochées, des conversations échouées, des élancements d’insatisfaction. Et puis cette douleur qui irradie doucement, lovée dans ma nuque – dans la vertèbre vautour -, qui remonte sur mon crâne et pénètre ses longues aiguilles dans le creux de mes orbites.

[

C’est un de ces jours où je perds le sens de ce que je fais, de ce que je cherche, de ce truc que j’ai absolument à prouver. Il ne reste qu’un grand vide qui s’involute en moi, et je m’y laisse tomber.

]

Je pense à ces statues grises qui alourdissent le toit du Nouveau Palais. Elles ploient, tout au bord, sous un fardeau invisible – et le ciel bleu, et le soleil s’en foutent, même se moquent d’elles et de leur pose pathétique. Le ciel bleu, justement, qui est encore là derrière la vitre du train, lumineux, insolent jusqu’à la tombée de la nuit. Il me force à lui sourire.

 

probablement pour le journaliste, comme d’une façon générale, le mot mélancolie doit faire surgir de ces images plus ou moins mièvres à la mode chez les préraphaélites anglais, aux couleurs fades, de femmes languissantes, à l’oeil rêveur ou encore, en mettant les choses au mieux, de cet ange pensivement assis, drapé dans une longue robe, soutenant sa tête d’un poing, son autre main prête à abandonner un inutile compas et entouré sur la gravure de multiples accessoires allégoriques dont l’ensemble évoque la lamentation du poète « La chair est triste, hélas, et j’ai lu tous les livres », et S. dit que c’était même exactement le contraire: ni ces mauves, ces roses, ces verts pâles, ces iris, ces chlorotiques Ophélies, ni non plus cet allégorique fatras de livres rejetés, d’intule compas, cette amère songerie, mais quelque chose de violent qui protestait, furieux, bâillonné mais hurlant : Jamais je n’avais tant désiré vivre, jamais je n’avais regardé avec autant d’avidité, d’émerveillement, le ciel, les nuages, les prés, les haies…

 

(Claude Simon, Le Jardin des Plantes, 1997)

Sunday morning again, ://about.blank

Une fraîcheur humide, légèrement terreuse, suspendue dans le soleil au-dessus d’Ostkreuz.
L’odeur presque campagnarde de la rosée sur la terre ouverte qui s’empile le long des rails – au printemps les chantiers sentent comme des champs labourés.

L’entrée dans le club est un aveuglement temporaire. L’odeur soudain beaucoup plus agressive – l’âcreté de la transpiration, du tabac, de la bière renversée, l’âcreté des murs mêmes, quelque part entre le moisi et le sperme séché.

(Est-ce que c’est moi qui la fantasme, cette odeur comme de moisi et de sperme séché ? Mon nez fatigué de fumeuse, ou mon imagination perverse ? Ou alors je ne sais pas bien la décrire – c’est l’analogie qui déconne. C’est une odeur organique et âcre, qui prend à la gorge  – pungent dirait-on en anglais –, odeur répulsive mais qui donne envie de la respirer une seconde fois, pour être sûre.)

L’œil accommode peu à peu, se fait à l’obscurité, distingue les visages. Ceux propres et frais qui viennent d’arriver et ceux moites, creusés, qui dansent depuis la veille. Les visages des couples qui se mangent. Les visages des druffies, agités de crispations désordonnées, pupilles larges et bouches entrouvertes.

La musique est radieuse. Presque trop pour moi qui flotte encore dans mon engourdissement matinal – je voudrais quelque chose de plus sombre, de plus violent, qui me prendrait tout de suite sans rien demander. Mais non : Ben UFO vient de commencer, livre un build-up mélodique qui prend son temps.

J’ai du mal à appréhender le rythme. Il y a mec en manteau de laine râpeuse qui danse à côté de moi, son contact d’abord désagréable sur mon bras nu. Et j’ai les cheveux qui sentent encore le shampoing – une odeur de plastique qui ne colle pas. (Il faut s’imprégner suffisamment de ce mélange poisseux de sueur, d’humidité ambiante, de fumée exhalée pour pouvoir faire corps avec la musique. Sur une peau aseptisée la bassline glisse, sans pénétrer vraiment.)

S’avancer plus profond dans la foule, laisser les vibrations du plancher guider mes pieds. Accepter le frôlement toucher ou enchevêtrement d’autres membres dansants avec les miens. (Reconfigurer peu à peu les frontières de mon corps.)

 

– jusqu’à ce ténu décrochage de la conscience

qui ferme mes yeux et sourit mes lèvres.

 

@Schöneberger Südgelände

Un large parallélépipède jaune ocre est posé sur le bleu du ciel, – ciel pas même tâché de nuages, d’un bleu uni et dense.

DIE KUNST IST DER NÄCHSTE NACHBAR DER WILDNIS

Les couleurs franches, vives, les contours droits et nets, les volumes puissants : la composition a une perfection presque surréelle, quelque chose d’une image photoshoppée avec talent –  le cadrage, l’exposition, le contraste artistiquement travaillés. (Je crois que j’ai déjà employé cette comparaison quelque part, mais elle me semble toujours la plus adéquate. D’une certaine façon Berlin pose toujours les mêmes questions : de culture et de nature, d’apollinien et de dionysiaque, de perfection et de monstruosité.)

Et en même temps que cette artificialité avouée, scandalisante presque – il y a marqué Naturpark à l’entrée –, l’endroit irradie une vie sereine, certaine bien en deçà des concepts.

Légère froidure. L’air est gros de silence, – pas brisé mais rehaussé par le ténu gazouillis des oiseaux hors-saison et par le bruit du S-Bahn qui passe à l’arrière-plan.
Le long du chemin, les troncs albinos des bouleaux hérissent les entrelacs de rails ; leurs branches sèches et chauves piquent le moelleux du ciel.
Et il y a ces arbustes aux baies rouges, comme surgies d’un été rêvé dans le mois de février: frêle luxuriance de leurs branches sans feuilles mais déjà alourdies de fruits.
Au loin, le panache de fumée blanche, s’échappant vers l’Est, d’une cheminée d’usine.
(L’haleine tiède et vive de Berlin, toute proche.)

Le promeneur s’y fait happer. Dans sa torpeur ou ivresse, il ne trouve plus ni ses mots ni ses concepts, ses sentiments élevés, les vers dont il voudrait se rappeler. La lumière implacable se déverse dans ses yeux et y imprime toutes ses beautés. C’est une sorte de pathetic fallacy en sens inverse – l’humain possesseur ordonnateur est réduit à un acquiescement passif ; sa rétine est la plaque photosensible sur laquelle la nature projette ses fantaisies.

At the apex of clarity

Quelques mots d’Henry Miller sur la santé, sur la maladie, et sur la différence radicale que ces deux états établissent entre les individus. Ils sont tirés d’une longue lettre à Anaïs Nin, datée du 24 mai 1933, dans laquelle il répond à ses reproches d’indifférence. Deux paragraphes à la fois lyriques et d’une justesse apperte – dans leur façon d’expliquer, sans s’excuser. (Les gens sains ont souvent la faiblesse de s’excuser envers ceux qui manquent à l’être; compassion glue opaque et maladroite, qui ne fait qu’épaissir cette vitre sans tain, irrémédiable, les séparant.)

Health! I tell you, it’s not indifference, not callousness. It’s a very human condition which lifts you, temporarily at least, above so many useless problems and vexations. You just can’t be made wretched, sorrowful, miserable. You live there for a while, at the apex of clarity, and you see things with the naked eye and everything looks good, is good. It’s almost like getting religion – only so much better, so much more sane.

[…]

One gets ill sometimes just to be alone for a while. It’s a way the body has of conquering the mind. Here are problems which the mind simply cannot solve. And we get tortured and helpless and we collapse. We get ill, we say. O.K. We go to bed and, lying there, just doing nothing, surrendering to the insolvable problems, we gradually get a new vision of things. We succumb to certain ineluctable things which we hadn’t the courage to face while we stoop up on our hind legs and used that bloody instrument, the mind. I respect that. There are times when nobody can help you, not even the one you love. You have to be alone. You have to be ill, and wallow in your illness. Your soul needs it.

Clairvoyance douloureuse mais nécessaire – des bouts de verre dans les yeux.

Pendlergeschichte #2

Il répond à mon regard, rencontre mes yeux.

Ce n’est pas commun: moi je les traîne de trains en trains, partout, avec mon ennui. Mais les Allemands ont ce réflexe prophylactique, ils n’aiment pas être touchés des yeux. Ils ont développé l’art de garder les leurs droits et lointains, et en même temps aux aguets, vifs –
prêts à se détourner, à éviter tout contact indésirable.

Il est assis en face de moi. J’observe ses bras, ses épaules, larges, ses bras, bosselés –
j’essaie de deviner si sous le gros pull y affleurent des veines.

(
Et presque au même instant, baissant les yeux sur mon livre, je lis quelque chose sur « les ramifications astucieuses et compliquées des artères comme une plante déployée, un arbre délicat et bleu dessiné à l’encre sur le papier buvard. »
Sérendipité.
)

Je regarde le renflement du jean à l’entrejambe (curiosité apprise furtive). Puis le visage : carré, mais jeune, poupin – presque inadéquat sur ce corps de colosse. Les yeux bleu clair, allemands. Ils croisent les miens. D’abord brièvement, comme par accident ; et de nouveau, de façon plus appuyée, plusieurs fois –
jusqu’à l’esquisse d’un sourire.

(
Le sourire un peu bête de deux personnes qui se plaisent. Ou un sourire gêné, s’amusant et se cachant tout à la fois de ce contact inopiné –
l’imprévu surgissement d’un Autre dans le champ de vision ?
)

Derrière la vitre le soleil ajoute au chauffage du wagon. Température légèrement étouffante. Je prends des notes sur Claude Simon ; pas très concentrée, plus du tout concentrée – les phrases sans ponctuations défilent dépourvues de sens sous mes yeux qui veulent être ailleurs.

Friedrichstrasse. Je range mon bouquin, mets ma veste. Soudain la précipitation ; le garçon en face retire ses écouteurs, esquisse la volonté d’un mouvement vers moi, mais sans trop savoir comment.

Du musst schon aussteigen ?
Ja, am Alex.
Ärgerlich.
Warte mal

Je ne sais pas trop comment non plus : je griffonne mon numéro de portable sur un coin de ma feuille de notes, ajoute mon prénom à côté. Je me rends compte que j’ai oublié un chiffre, le rajoute au-dessus. Maladresse un peu brouillonne, un peu cliché.

En descendant du train j’ai un vaste irrépressible sourire, dont je ne sais s’il vient de ce regard rencontré, ou de quelque chose comme une jouissance intertextuelle – de cette scène de cinéma que nous venons de jouer.

Pendlergeschichte #1

Un matin à la fin d’un hiver clément. La fraicheur claire de l’air pénètre impérieusement les yeux
les exige grands ouverts.

Assise en face de moi, dans la lumière inégale du paysage en marche
une jeune femme.
Visage de madone porcelaine, yeux deux noisettes transparentes. Elle fascine ma rétine.

(
Je regarde toujours les gens dans le train – parfois même je les fixe, je les détaille. Avidement ? L’ordre, le désordre de leurs cheveux – celui de leurs vêtements. Leur façon d’être assis, ou affalés endormis, ou de regarder dans le vide. La texture de leur peau et l’expression de leurs lèvres. Peut-être mes yeux ont-ils la nostalgie de l’humain.
)

La jeune femme dégage une présence pastel et pleine. Manteau en laine épaisse, brun clair, vaste écharpe verte. Son gilet – un truc fin en maille ajourée, de couleur pâle, un truc de femme enceinte – est tendu sur la rondeur de son ventre, sur ses seins. Effeuillés, ces textiles ont une matérialité chaude qui appelle le toucher. On devine derrière eux celle du corps
sereine et silencieuse.

Les rayons du soleil, encore bas, filtrent entre les arbres du Grünewald qui file par la fenêtre. La jeune femme tapote sur un blackberry. Impénétrable visage. Je voudrais savoir ce qu’elle ressent.

(
Le fantasme de l’éternel féminin. Je ne le projette pas volontiers sur quelqu’un qui n’a rien demandé.
)

Je sens pourtant en moi la trace d’un désir. Désir ou envie ? pour cet être-femme, pour cet être-mère-à-venir – enfin quoi qu’on l’appelle :
pour cette évidence.

Territoire de ma chance

J’écris mes poèmes sur ta bouche.
Ils sont navigateurs sur l’espace gonflé. Parfois ils touchent terre, ils me reconnaissent.
Emerveillé, je les recopie.

D’autres fois, lorsque tu m’aimes,
Ils s’épanouissent, ils saignent, ils chantent.
Je n’en finis plus de m’aimer sur tes lèvres.
O territoire de ma chance !
Matinées !

 

Jean Senac, « Diwân du Môle » – 1964

 

(Je vais me remettre à écrire. Bientôt.)